Laura entendait de la musique. Qui que soit la personne derrière cette porte, elle avait du goût, « Creep » de Radiohead, une musique qu’elle appréciait ces derniers temps. Plus encore, elle la ressentait. La jeune rousse toqua à la porte pour s’annoncer, une fois, puis deux.
« Pas de réponse…super… pourtant la musique n’est pas si forte… » Se dit-elle en perdant le peu d’aplomb qui lui restait.
Le courrier qui lui avait été envoyé contenait plusieurs choses, un livret d’une soixantaine de page à apprendre quasiment par cœur. Il contenait toutes les règles, des plus évidentes aux plus absurdes, qu’elle se devrait de respecter. Deux mois pour apprendre 60 pages de règlement, ils en avaient de bonnes… Avec cet objet se trouvait son numéro de chambre, où la trouver, et comment l’ouvrir. Une carte magnétique et un code à quatre chiffres. A croire qu’elle habiterait dans un coffre-fort.
Elle sorti sa carte et la passa sur le capteur NFC à droite de la porte, avant de taper ce code si facile à retenir pour elle.
« 1…6…1…0… voilà, dévérouillé. » se dit elle pour elle-même. Elle ouvrit la porte et pénétra dans la pièce qu’une fille occupait déjà. Une adolescente au look original pour l’endroit, qui ne leva même pas un sourcil alors que Laura faisait quelques pas dans la chambre.
Une adolescente aux cheveux azur était enfoncée dans un confortable fauteuil de bureau. La jeune fille semblait accorder toute son attention au livre qu'elle tenait entre ses mains. Que l’inconnue ait ou non entendu Laura entrer, dans les deux cas, elle n’en montrait rien.
Laura s’éclaircit timidement la voix et tenta d’établir le contact.
« Heu… hum… hey ? »
L'adolescente suspendit sa lecture et accorda enfin un regard à la nouvelle arrivante. Son visage inexpressif ne laissait rien transparaitre.

Suspendue dans l’instant, Laura détailla son interlocutrice. Un jean et une chemise blanche nouée, de longs cheveux d’un bleu hypnotique et ses yeux… Perçants, profond, un regard à vous juger et condamner mais des yeux qui dégageait un magnétisme impressionnant. La fille avait l’air à la fois hautaine et charismatique, et d’un coup, Laura trouva le mot idéal : Altière.
« Moi c’est Primerose, mais il n’y a que mes parents et les gens que j’n’aime pas qui m’appelle comme ça, les autres m’appelle Prim. Tu dois être Laura, tu débarque d’où, Discount Girl ? » Déroula la jeune fille sur un ton légèrement condescendant.

Effectivement, Prim n’avait pas tort, la rousse possédait essentiellement des vêtements de supermarchés ou de magasins low-cost. A l’inverse, il n’y avait pas le moindre habit sur Prim qui ne portait un logo de diverses marques connues pour leurs tarifs prohibitifs. « Et elle sent le Dior » se surprit à remarquer l’américaine.
« Tu n’es pas obligée d’être désagréable », répondit Laura d’un ton sec dont elle s’ignorait capable, « et je …"débarque" … de Springfield, aux USA »
Springfield... cela faisait moins de 24 heures et pourtant cela lui semblait tellement lointain...
Moi à Springfield, Massachusetts La vie coulait comme de l'eau…. Sifflota Prim qui poursuivit un moment sa chanson… Un matin j'ai pris perpète…En ouvrant la radio Carol Fredericks ! S’exclama-t-elle à la fin du couplet.
Laura connaissait ce groupe occasionnel évidemment. L'américaine Carol Fredericks, l'anglais Mickael Jones et le français Jean-Jacques Goldman. Ouais, Prim a bon goût
« Ouais j’connais merci mais non, ce n’est pas celui du Massachusetts… ni celui des Simpson… » Énuméra Laura avec lassitude.
"Son" Springfield était modeste mais elle avais aimé y vivre.
« Alors “Springfield“, tu viens d’où au final ? » ajouta l’adolescente fortunée avec insolence, en forçant le ton sur le nom de la ville.
Laura serra les dents quelques secondes, elle redoutait que celle avec qui elle partagerait sa chambre ne soit qu'une méchante garce enfant gâtée.
« Kentucky. Et ne te sens pas obligée d’utiliser le nom de ma ville comme si c’était une insulte. » S’impatienta la jeune fille.

Prime y était presque. Elle le savait rien qu'en regardant les joues de la rousse. Allez... Encore un peu...
« Bah alors mon poussin, t’es fâchée ? » rajouta Prim sur un ton encore plus moqueur
Cette fois c'en était trop pour Laura. Elle laissa sortir toute la pression qu'elle contenait jusqu'alors.
« IL N’Y A PAS QUE DES KFC CHEZ MOI ! » hurla Laura qui perdait sérieusement patience, avant de se rendre compte qu’elle donnait à son interlocutrice exactement ce qu’elle voulait.
« Désolé de m’énerver Prim, mais il faut dire que tu me cherches aussi. On peut peut-être arrêter ce petit jeu et les surnoms désagréables, tu ne crois pas ? » Ajouta-t-elle à son précédent propos.
Laura regarda Prim. Le temps d'une seconde elle pensait avoir rétabli l'équité, mais c'était sans compter sur le côté retors de l'européenne.
« P’tête. Mais je ne t’ai pas autorisé à m’appeler Prim, c’est Primerose pour toi.» lança la fille aux cheveux azur sur un ton provocant. « Vu ta tignasse, j’vais t’appeler Red. Ok pour toi, “Springfield“ ? »
C'était l'occasion qu'attendait Laura pour désamorcer la situation.
« Ok pour moi, si je peux t’appeler Blue » s’amusa Laura.
« Surement pas. » conclut “Blue“ avec un sérieux qui dissimulait à peine son sourire en coin.
Laura saisit la trop belle occasion pour renverser l'équilibre des forces en présence, elle le regretta aussitôt.
« Et puisse le sort... » commença Laura, mais le couperet tomba avant qu'elle n'eût finit. Elle avait trop poussé sa chance.
« Je te déconseille de finir cette phrase si tu espère revoir le soleil se lever. » asséna Prim, sur un ton sévère qui ne laissait de place ni au doute ni au débat. C'était un sujet tabou.